Oh, un papillon... [PV Anja]

Depuis combien de temps ai-je attendu ce moment ? Ce jour où on me laisserait enfin tranquille. Ce jour où je pourrais aller m'assoir quelque part et fermer les yeux pour apprécier la brise. Ca ne vaut pas le vent de chez moi, mais j'aime quand même. C'est assez reposant à vrai dire. Puis, comme je choisis toujours les meilleurs endroits, je suis souvent seule. Alors, dans ces moments là, je peux penser à tout ce que je veux, personne pour venir m'embêter. Mais, voyez-vous, je crois que ces moments ont tous leur petite fin à eux. Un fin spécial pour chacun mais au final, c'est toujours la même chose et moi, ça me met en colère.

Isil courait quelque part, à quelques mètres de moi. Je suivais tout ces mouvements, je voyais tout ce qu'elle voyait, j'entendais tout ce qu'elle entendait et tout le tralala. Enfin bon, je pense que vous m'avez comprise. En arrivant, j'avais trouvé une table. Vous savez, ce genre de table que la commune met dehors pour les gens qui veulent passer du bon temps devant la rivière. Je m'étais donc installée là, la table étant dans un coin isolée. Assise sur la chaise, les pieds sur la table et les bras croisés derrière la tête, j'étais, pour une fois, très calme. Les yeux fermés, j'avais projeté mon esprit vers la tigresse et j'étais maintenant en elle, sans pour autant quitter vraiment mon corps. Je n'avais pas vraiment envie que quelqu'un vienne me déranger. C'est à ce moment là que mon calme prit fin.

Des motos. Oui, au son, ce ne pouvait être que des motos. Isil tourna sa tête dans la direction du bruit. L'air puait. Ce ne pouvait être que des motos. La tigresse disparut dans les buissons pour guetter. Nous voulions toutes les deux savoir ce que ces motos venaient faire ici. Un homme apparut, comme par magie aurait dit une personne ordinaire. Isil ne pouvait pas sentir son odeur, les motos puaient trop. Pourtant, l'homme me disait vaguement quelque chose. J'étais presque sûre de l'avoir déjà vu. La tigresse resta spectateur comme je lui avais demandé. De toute façon, elle n'avait aucune envie de protéger ni l'homme seul, ni les hommes en motos. Finalement, l'homme blond s'approcha de moi. Isil disparut et je réintégrai totalement mon corps mais je restai immobile jusqu'à son approche.

Je n'étais plus calme. La colère montait lentement, me faisant frissonner. Je n'aimais pas vraiment être en colère, ce qui m'énervait encore plus. Pour tout vous dire, je crois que cet homme n'est pas vraiment le bienvenu. Il continua de s'approcher, jusqu'à être tout prêt. Je restais toujours immobile, les yeux fermés. J'écoutais, j'écoutais tous les détails. Les battements de son cœur, la voix du vent. Maintenant j'en étais presque sûre, je lui avais déjà parlé. Son odeur m'était familière et, contrairement aux autres garçons, elle ne m'irritaient pas, je la sentais … amicale. Serait-ce un ancien ami à moi ? Du temps où j'étais encore chez moi ? Possible. Il me parla, et le doute n'était plus possible. Je le connaissais. Mais son nom … Je ne savais plus. J'ouvris les yeux et levai la tête vers lui, je l'observai pendant quelques secondes et haussai les épaules pour enfin refermer les yeux. Mais Isil ne semblait pas d'accord, elle apparut sur la table, juste en face du jeune homme. Je n'essayais même pas de lui dire que ça ne servait à rien, elle comprendrait sûrement toute seule. Mais, elle ne partait pas, elle était toujours là, à quelques centimètres seulement du corps de l'homme blond. Ses oreilles étaient baissés et ses babines relevées. Je soupirai bruyamment.

''Isil. Laisse-le tranquille. Il ne t'a rien fait … pour le moment.''

La tigresse s'ébroua et disparut en grognant une dernière fois. Je n'avais pas bougé d'un pouce ni ouvert les yeux. De toute façon, Isil n'avait aucune raison de sauter à la gorge du jeune homme, pourquoi l'aurait-elle fait ? Je la connais mieux que quiconque, normale après tout, et je sais qu'elle n'aurait pas fait une chose pareille. La seule capable de faire ça ici, c'est moi. C'est beaucoup plus mon caractère que le sien. Et comme je ne ferais jamais une chose pareille. Sauf si je déteste la personne à mes côtés bien entendu. Mais si je la déteste elle ne serait pas à mes côtés de toute façon. Je soupirai une nouvelle fois, n'arrivant plus à retrouver le calme de tout à l'heure. Dommage, c'est si rare un moment comme celui que je venais d'avoir. Il n'a vraiment pas de chance le pauvre jeune homme, je n'arrive pas à me rappeler de son prénom et je lui en veux de m'avoir déranger.

''Tu es bruyant, pense à faire moins de bruit la prochaine fois.''

Ce jeune homme. Je le connais, c'est sûr. Mais qui est-ce ? Il faut avouer que je n'ai pas beaucoup de souvenir de mon passé. J'ai oublié tellement de chose avec ce qui m'est arrivée. Quelle idiote je fais. L'ai-je oublié parce qu'il n'avait pas d'importance ? Non. Sinon, je ne me rappellerais pas non plus de son visage. Hors, je me rappelle de beaucoup de chose. Son odeur, cette phrase, son visage. C'est étrange. Pourquoi aurais-je oublié son nom ? Pour une fois, même Isil ne peut pas m'aider. C'est si rare depuis que je suis ici. C'est étrange. Jamais je n'aurais pensé que mes oublies me gêneraient à ce point. Ca m'énerve !

Un papillon se posa sur ma botte. Je me rendis compte à cet instant que j'avais ouvert les yeux et serré les poings. Je m'énerve à ce point ? Déjà ? Il faut croire qu'être infirmière n'est pas bon pour la santé. J'observai le papillon tricolore. Là où j'étais née, les papillons ne ressemblaient pas du tout à ça. Je me demande bien pourquoi il vient me faire chier moi plutôt que quelqu'un d'autre. Il y a bien d'autre botte pour faire un perchoir non ? Je sentis Isil s'agiter en moi. Elle voulait sortir pour jouer avec le papillon. Je ne devais pas la laisser sortir. Pas encore. Et puis merde, au moins elle me débarrassera de ce papillon. La tigresse apparut à côté de la table. Elle sauta sur celle-ci et chassa le papillon avec sa patte. Le papillon et Isil partirent jouer ensemble un peu à l'écart. Je repris ma position précédente et refermai les yeux.

Je me posai trop de questions depuis qu'il était venu me voir. J'aurai bien aimé retrouver le calme de tout à l'heure. Mais, apparemment, c'était une vraie fin et le calme ne reviendra pas. Je l'écoutais, toujours silencieuse. Une femme qui disparaît d'un seul coup, ce doit être vraiment désagréable. Surtout si elle ne prévient personne, n'est-ce pas ? Ce genre de femme ne doit pas vraiment être aimer, non ? Ou alors, elle doit compenser avec autre chose, avec d'autre atouts. Cloud ? Nuage en anglais, c'est bien ça ? C'est un nom étrange mais intéressant. Même si je n'aime pas spécialement l'anglais. Donc maintenant je sais comment tu t'appelles et je me souviens très bien de toi. Un seul mot et je me rappelle de tout, c'est plutôt étrange mais, il faut dire qu'il ne me manquait pas grand chose non plus dans mes souvenirs.

''Une jeune fille de seize ans, cheveux noirs et yeux émeraude. Elle s'appelait Anja et elle n'aimait pas vraiment les autres, n'est-ce pas ? Elle était toujours seule et silencieuse. Plutôt irritable aussi, non ? Les garçons qui essayaient de l'approcher parce qu'ils la trouvaient jolis et les filles qui la regardaient de haut finissaient tous par la fuir, c'est bien ça ? Je connaissais bien cette fille. Oui, tu as raison, ta vie ne m'intéresse pas.''

J'ouvris les yeux pour le regarder, toujours indifférente. Cloud, blond aux yeux bleus, anciennement enfant méprisé par les autres, maintenant c'était presque un homme. Presque. Je le reconnaissais bien maintenant. C'était le seul garçon de cet age qui avait osé s'assoir à ma table au collège. A vrai dire, les seuls qui osaient m'approcher malgré mes regards noirs étaient souvent plus âgés que moi. Les autres étaient plus intelligents, ils comprenaient tout de suite ce que voulaient dire mes yeux verts. Apparrement les plus âgés étaient trop fiers pour ne pas m'approcher, et les moins âgés étaient trop peureux pour le faire. Mais tout ceci maintenant c'est du passé. Je suis une femme maintenant. La situation n'a pas vraiment changé malheureusement. Je tournai la tête vers Cloud et l'observai silencieusement avant de sourire.

''Alors ? Le nuage est-il devenu tempête Cloud ?''

Isil bondissait sans s'arrêter, n'attendant même pas que le papillon se pose pour l'attraper. En réalité, j'étais sûre qu'elle ne voulait pas l'attraper. Elle ne faisait que jouer. Comme l'aurait fait un chaton en pleine croissance. Sur certains points elle ressemble parfaitement à un tigre c'est vrai, mais il y a certains principes qu'elle ne doit pas comprendre. Un tigre qui va dans l'eau, c'est possible, ok. Mais un tigre qui marche sur l'eau, c'est impossible, même dans ce monde de dingue. Je lui avais pourtant déjà dit qu'il fallait qu'elle fasse comme les tigres. Qu'elle aille dans l'eau. Mais madame est trop occupée à jouer avec le papillon pour se rendre compte qu'elle fait des bonds sur l'eau et que jamais elle ne mouille ne serait-ce qu'un seul de ses poils. Je m'apprêtai à lui faire remarquer sa petite erreur quand Cloud me prit dans ses bras. J'étais tétanisée, impossible de bouger. Ce n'est pas que j'avais peur. Non. Je réussi à me reprendre et je posai mes pieds sur le sol. Mes poings se desserrèrent doucement et je tournai la tête vers le jeune homme. J'ouvris mes paupières qui dévoilèrent des yeux bleus. Une de mes mains se crispa sur le dossier du banc, l'autre sur la table. Deux lames de lumière sortirent de mon corps pour s'arrêter à un centimètre de sa gorge.

''La tempête a encore beaucoup à apprendre, hein ? Ne refais jamais ça Cloud !''

Les lames disparurent et mes yeux redevinrent verts. Je m'assis de nouveau sur le banc, fixant droit devant moi. Isil venait tout juste de réapparaître, assise sur la table. Elle sauta sur mes genoux et s'allongea. Je la caressai doucement, me calmant grâce à ça. Petit à petit, la colère disparaissait. Je soupirai. Je m'énervai de plus en plus souvent en ce moment. Et surtout pour rien aussi. Mais bon, on ne peut pas changer ça. Tu t'es inspiré de moi pour te forger un caractère ? Tu es sérieux là ? Je ne pense pas que ce soit une très bonne idée en fait. Je pense même que tu aurais dû choisir quelqu'un d'autre. C'est que …

''Je ne pense pas être un bon exemple.''

Isil se leva et s'ébroua avant de partir vers la rivière. Je me levai à mon tour, m'étirant en observant les alentours. Je m'approchai de la rivière pour rejoindre la tigresse. Je m'accroupis à ses côtés pour la caresser en la souriant légèrement. Puis, une faible lueur attira mon regard vers l'eau. Je fis quelques pas, marchant sur l'eau grâce à la tigresse. Je plongeai ma main dans la rivière pour ressortir une pierre, la source de cette lueur. C'était une petite pierre polie par le passage de l'eau. Elle était rouge et presque transparente. Je levai la pierre vers le soleil et observai silencieusement. La couleur qu'elle projetait sur mon visage ressemblait au sang. Je serrais la pierre dans mon poing avant de la reposer exactement là où je l'avais trouvée. Je revins sur l'herbe pour m'assoir contre un arbre juste à côté de la table.

''Je n'ai jamais vraiment aimé les rivières. Elles sont trop calmes, tu ne trouves pas ?''